La 4ème journée de rencontre Open Data Impact a eu lieu le 11 avril 2019 au Square. Nous vous proposons une série de billets pour présenter les échanges et les résultats de cette journée de travail.
Lors de la journée les participants ont enrichi et amélioré deux des quatre futurs souhaitables préparés en amont par Charles Népote et Simon Chignard. Si l’on considère ces futurs comme des destinations, l’objectif du groupe était de décrire le chemin, et plus particulièrement:
- les déclencheurs: ce qui nous amènerait collectivement à s’engager dans le chemin qui mène à ce futur souhaitable,
- les perturbateurs: ce qui est susceptible de venir impacter la trajectoire, qu’il s’agisse de la ralentir, de l’accélérer ou de la dévier,
- les conditions de réalisation: ce qui nous a semblé nécessaire à la réalisation du futur, les pré-requis du scénario,
- enfin les jalons: les étapes du chemin qui nous amène à 2025.
Futur souhaitable #1 - 2025, la data est devenue le meilleur allié des acteurs publics
En 2025, les collectivités territoriales se sont pleinement emparées du potentiel des données. Chaque politique publique bénéficie maintenant de l’apport des données, de la conception à la mise en oeuvre et l’évaluation. La circulation de la donnée est rentrée dans les pratiques quotidiennes. Les agents ont accès à des données pertinentes pour le territoire produites par leur collectivité mais aussi par des acteurs tiers (secteur privé, secteur associatif, société civile, …). D’ailleurs, pour permettre une plus grande diffusion de la culture des données, dès l’année prochaine, en 2026, une épreuve des concours administratifs des catégories A et B sera consacrée à la maîtrise des données (littératie).
Les déclencheurs (l’étincelle)
Les participants ont jugé que le futur souhaitable décrit présuppose une mobilisation forte des acteurs publics - à un niveau bien supérieur au niveau actuel. Cette mobilisation ne peut résulter que d’une prise de conscience aiguë des enjeux liés à la donnée, sa disponibilité, sa circulation et son usage. Enfin, il a été considéré qu’un déclencheur possible (ce qui ne veut pas dire souhaitable en tant que tel) est une situation de crise à laquelle les acteurs publics sont confrontés et qui révèle l’importance de la data pour gérer une situation compliquée. La donnée est alors perçue comme un facteur de résilience pour faire face à des chocs.
Après l’atelier nous avons reformulé un scénario fictif:
Le 1er juillet 2020 à 16h34, une barge transport des matières dangereuses prend feu à l’approche du port de Gennevilliers. Les secours qui interviennent ordonnent l’évacuation de la population dans un rayon de 3 kilomètres, ce qui entraîne la fermeture des infrastructures routières et ferroviaires du périmètre (autoroutes A86, A15, ligne C du RER, ligne Transilien Paris-Argenteuil, grandes lignes de Saint-Lazare vers Rouen, Le Havre, Caen, …). La cellule de crise mise en place doit gérer non seulement les opérations de secours sur place, mais aussi les engorgements provoqués sur les autres axes de circulation, la fermeture des équipements publics et la saturation de la gare Saint-Lazare, deuxième gare d’Europe qui accueille 100 millions de voyageurs par an (…)
La commission d’enquête parlementaire, qui rendra son rapport 8 mois après cette journée qualifiée de “pire pagaille de ces 10 dernières années en Ile-de-France” mettra notamment en avant l’absence de circulation des données entre l’ensemble des acteurs concernés. Les services de l’Etat, le gestionnaire des infrastructures routières, le gestionnaire du port, l’armateur et l’affréteur du bateau, les services pompiers (BSPP), les principaux employeurs de la zone concernée, les collectivités territoriales, la SNCF, la RATP et même Waze (qui a joué un rôle aggravant en détournant le trafic sur des routes secondaires) n’ont pas été en mesure de partager des référentiels communs qui auraient permis de savoir de manière précise et en temps réel ce qui se passait sur zone et de permettre aux autorités publiques de prendre les décisions pertinentes.
Dès lors, cette commission d’enquête a recommandé la mise en place à très court terme, d’une stratégie volontariste de production, de standardisation et de circulation des données entre acteurs afin que de telles situations puissent à l’avenir se gérer de manière plus efficace”.
Les conditions de la réalisation
Pour que les acteurs publics placent la question de la donnée au centre de leurs problématiques, et au-delà de l’impulsion initiale, il faut que certaines conditions soient réunies. Les conditions identifiées par les participants sont de nature et de portée très diverses, certaines sont relatives à la formation, la société, l’évolution du cadre juridique ou à des enjeux de disponibilité et d’accès aux données.
-
renforcement de la littératie des données dans l’ensemble de la société (et non les seuls agents publics): on peut imaginer qu’un administration acculturée aux données transforme aussi sa relation aux usagers en introduisant davantage de données. Par exemple en indiquant après le dépôt d’un dossier de demande en crèche “vous avez 53% de chances d’obtenir une place à la période demandée”. Or cela demande une attention particulière sur l’inclusion numérique, en l’occurrence la capacité des administrés à comprendre et agir avec ces données,
-
formation des techs à la citoyenneté et aux enjeux de l’action publique : de manière symétrique à la formation aux données des agents publics, il faudra mettre en place des actions à destination de ceux qui conçoivent, développent et opèrent les systèmes techniques (ingénieurs, développeurs, data scientists, …),
-
adaptation du cadre juridique: pour permettre aux acteurs publics d’accéder aux données pertinentes produites par des acteurs tiers (hors missions de service public) il faudra, d’ici 2025, rendre effective le partage de données en mode “B2G” (business-to-government). Par ailleurs, certains ont évoqué, au nom du principe de continuité territoriale, la possibilité de supprimer le seuil de 3500 habitants (et 50 agents équivalent temps-plein) pour l’obligation d’open data par défaut,
-
modernisation et “datafication” des systèmes d’information: le scénario présenté implique que l’ensemble des acteurs publics disposent de systèmes d’info performants et conçus pour la meilleure exploitation possible des données,
-
standardisation des données locales au niveau national: d’ici 2025, la démarche engagée autour du socle commun des données par Opendatafrance et ses partenaires devra être généralisée et adoptée par la majorité des acteurs publics, leurs éditeurs et les acteurs privés en lien avec les thématiques,
-
soutien financier massif et durable de l’Etat vers les acteurs publics territoriaux: d’ici 2025, les collectivités pourront par exemple accéder aux fonds dédiés à la transformation publique par le numérique (fonds FTAP aujourd’hui réservés aux administrations d’Etat), …
Les étapes et les jalons
Les participants ont identifié plusieurs étapes, sans toutefois être parvenus à les ordonner de manière précise dans le calendrier d’ici 2025. Toutes ces actions ont le point commun d’être menées en co-construction avec les acteurs du territoire. Certaines n’ont pas fait l’objet d’un consensus parmi les participants, les points ayant fait débat sont mentionnés:
-
généralisation des stratégies data: d’ici 2025, l’ensemble des territoires ont l’obligation de produire et diffuser leur stratégie en matière de données, à l’image des plans locaux d’urbanisme (PLU) ou des schémas de cohérence territoriale (SCOT). Cette stratégie doit faire l’objet d’une co-construction avec l’ensemble des parties prenantes des territoires.
-
co-conception d’une politique publique pensée “nativement” avec les données: chaque territoire expérimente l’apport des données sur une politique publique de son territoire, à chaque étape (étude et conception, mise en oeuvre, suivi et amélioration permanente, évaluation). Il peut s’agir par exemple de positionner un nouvel équipement public, de faire évoluer l’approvisionnement des cantines scolaires, d’agir sur le non-recours aux aides sociales au niveau départemental, ou encore de réguler par la donnée les opérateurs de micro-mobilité comme les trottinettes électriques. Cet exercice se fait, lui aussi, avec l’ensemble des acteurs concernés dont les habitants.
-
co-construction des indicateurs des politiques publiques: les acteurs publics co-construisent avec les acteurs concernés des indicateurs de suivi des principales publiques. NB: cette proposition n’a pas fait l’objet de consensus au sein du groupe, certains soulignant que “tout ne peut pas se mesurer via des données”, que les indicateurs qualitatifs sont trop souvent absents. De manière plus générale, certains participants redoutent que cette action ne vienne donner un nouvel élan aux démarches de New Public Management, par ailleurs objet de critiques récurrentes.
-
publication de tableaux de bord territoriaux sur les services publics: chaque territoire publie, de manière homogène, des tableaux de bord sur l’offre de service public au niveau local. Les habitant sont en mesure de participer aux orientations des politiques publiques locales sur une base factuelle et mise à jour. NB: de même que la proposition précédent, celle-ci n’a pas fait l’objet de consensus parmi les participants. Outre les arguments déjà développés il a été aussi question du risque de fabriquer artificiellement du consensus par la transparence.