Rapport de la Cour des Comptes sur les cabinets de conseil

La Cour des comptes vient de sortir aujourd’hui son rapport d’initiative citoyenne sur le le recours par l’Etat aux cabinets de conseil :

Il a fait beaucoup de bruit mais sa partie sur les données, beaucoup moins. Elle en dit pourtant long sur les limites des données de la commande publique et la difficulté de l’Etat à rendre compte sur l’usage de l’argent public, y compris aux institutions en charge de son contrôle.

A - Des données de qualité médiocre mais qui montrent la forte croissance des dépenses

1 - Un poids limité mais en forte augmentation
Les informations budgétaires et comptables ne donnent pas une image suffisamment fidèle de la réalité des engagements et paiements opérés au titre des prestations intellectuelles. Ces carences résultent autant des outils et procédures utilisés que d’un défaut de suivi par les administrations et d’un périmètre incomplet pour l’analyse.

La difficulté à rendre des comptes précis sur les dépenses de prestations intellectuelles commandées à des cabinets privés est révélatrice
des insuffisances des dispositifs de suivi :

  • le logiciel comptable ne permet pas d’assurer le pilotage et le suivi de l’exécution financière des marchés, faute d’une configuration appropriée et d’une utilisation de l’outil. En l’absence, dans les nomenclatures comptables, de compte alloué aux seules prestations de conseil, il n’est pas possible de croiser les comptes comptables sur lesquels les dépenses sont susceptibles d’être imputées avec d’autres données (les groupes de marchandises dans les ministères ; l’activité du fournisseur dans les établissements publics) afin d’identifier et d’assurer la traçabilité des sommes en jeu ;
  • l’alimentation du module de Chorus10 lié à la stratégie d’achat et au suivi des marchés (ODA) mis à la disposition des ministères par la direction des achats de l’État (DAE) intervient trois fois par an, ce qui est insuffisant pour assurer un suivi fin des consommations de prestations de conseil. En conséquence, les ministères sont astreints à établir eux-mêmes des éléments de restitutions au moyen de tableurs dont ils soulignent la fiabilité incertaine. Il est souhaitable que le projet d’accroissement de la fréquence des mises à jour auquel l’agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE) et la DAE ont indiqué travailler aboutisse rapidement ;
  • la notion d’accord-cadre et ses modalités d’exécution (marché subséquent ou bons de commande) ne sont pas systématiquement prises en compte dans les logiciels de gestion. Alors qu’une grande partie des prestations de conseil sont réalisées en application d’accords-cadres, il n’est pas toujours possible, tant dans le logiciel SAP, utilisé par les opérateurs, que dans Chorus, de rattacher de manière automatique un marché à un accord-cadre. On ne peut donc éditer l’ensemble des marchés subséquents d’un même accord, sauf à recourir ponctuellement à des solutions de contournement. La DITP a créé – fin 2021 – un outil interne pour exploiter les données financières issues de Chorus, afin de répondre au besoin d’informations sur les montants des bons de commande émis au titre des accords-cadres interministériels. La solution, stabilisée durant le premier trimestre de 2022, a permis de restituer les masses financières exécutées par les ministères en autorisations d’engagement, mais elle présente plusieurs limites importantes. Cette restitution retrace les montants réceptionnés (correspondant au service fait) ou facturés (demandes de paiement) mais pas les consommations effectives en crédits de paiement. Elle n’offre ensuite la possibilité de lier un numéro de bon de commande à l’objet de la prestation correspondante que pour les missions relevant de la DITP elle-même ; de fait, le système d’habilitations en vigueur ne permet pas la consultation d’un engagement juridique et de ses pièces jointes si celui-ci a été saisi en dehors de son organisation d’achat (en l’occurrence, le ministère bénéficiaire). L’outil présente aussi l’inconvénient de ne pas être interfacé avec les autres logiciels de suivi des marchés et de l’absence de contrôle bloquant en cas d’erreur d’imputation, notamment. La DAE indique avoir, conjointement avec la direction du budget, sollicité l’AIFE en vue d’un développement de Chorus permettant de disposer d’une restitution relative aux marchés subséquents rattachés à un accord-cadre ;
  • enfin, Chorus ne permet pas toujours une appréhension significative et utile des comptes et des enjeux qui s’y attachent. Par exemple, la Cour a établi, à partir des restitutions disponibles, la liste des « fournisseurs » par ordre décroissant de dépenses de conseileffectuées en 2021 (tous ministères confondus). Le deuxième plus important « fournisseur » (61,5 M€) apparaît sous une rubrique « Union des groupements d’achats ». Le caractère agrégé de cette rubrique ne permet une analyse fine ni des cabinets auxquels il a été fait appel, ni des ministères ou entités bénéficiaires, ni de la nature des prestations concernées, informations qui ne sont pas disponibles par ailleurs.

De manière générale, en raison de son niveau de précision insuffisant parce qu’il est un outil financier qui n’a pas vocation à intégrer l’ensemble des référentiels métier, le progiciel Chorus ne permet pas, en l’état, de répondre au besoin d’un meilleur suivi des dépenses de conseil dans les conditions définies par la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022. Celle-ci a confié à la direction du budget et au réseau des contrôleurs budgétaires et comptable ministériels (CBCM) le suivi du montant des dépenses de prestations intellectuelles de toutes natures, et demandé la constitution d’une base de données référençant les prestations commandées par l’État, permettant un suivi de l’exécution des marchés et la production d’analyses sur la nature et le montant des missions commandées. Un travail, coordonné par la direction du budget, a en outre été engagé en 2022 afin d’affiner la nomenclature et les fonctionnalités de Chorus, pour permettre aux ministères de suivre à l’avenir les dépenses induites par leurs décisions de solliciter auprès de cabinets privés des missions de prestations intellectuelles.

Outre une amélioration des informations disponibles pour les ministères sur l’exécution de leurs propres marchés, ces évolutions, que la Cour avait déjà appelées de ses vœux dans son rapport de 2015 (recommandation n° 1), devraient enfin permettre une appréhension d’ensemble fiable, sur la base de données homogènes, de la réalité et des tendances observées en matière de dépenses de conseil.

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