Données publiques = trésor national ?

Lu dans un CCTP d’un marché public :

Les données numériques produites par les collectivités territoriales constituent des archives publiques dès leur création. A ce titre elles relèvent du régime des trésors nationaux et doivent être stockées et traitées sur le territoire français (article L111-1 du Code du patrimoine).

Cette lecture me semble un peu extensive, et en tout cas ne correspond pas à la pratique effective de beaucoup de services de l’administration. Qu’en pensent les experts ?

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C’est la position du Service interministériel des archives de France:
Note d’information n°2016/004 du 5 avril 2016 relative à l’informatique en nuage (cloud computing)
http://securibase.com/securibase/public/fiche/19224/21193

“Les documents et données numériques produits par les collectivités territoriales relèvent du régime juridique des archives publiques dès leur création.
Cela recouvre aussi bien les dossiers sur support papier numérisés que les documents bureautiques issus d’un logiciel de traitement de texte, le contenu d’une base de données ou encore les courriels transmis ou reçus par une collectivité territoriale.
Toutes les archives publiques sont par ailleurs des trésors nationaux (6) en raison de l’intérêt historique qu’elles présentent ou sont susceptibles de présenter.
Les données numériques des collectivités relèvent donc du régime des trésors nationaux dès leur création. Or, la qualité de trésor national impose un régime de circulation contraignant. Un trésor national ne peut pas sortir du territoire douanier français, sinon à titre temporaire et après autorisation du ministère de la Culture et aux seules « fins de restauration, d’expertise, de participation à une manifestation culturelle ou de dépôt dans une collection publique »
Tous les autres traitements doivent intervenir sur le territoire national.”

L’utilisation d’un cloud non souverain, qui, par définition, ne permet pas de garantir que l’ensemble des données sont stockées et traitées sur le territoire français, est donc illégale pour toute institution produisant des archives publiques, dont les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics."

Mais cette position a été critiquée :

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Ces gens vivent encore dans le papier et ne prennent pas en compte le côté immatériel du numérique… c’est du coup ridicule car excessif.

Ce qui serait bien plus cohérent c’est de s’assurer qu’une copie conforme demeure sur le territoire national et soit effectivement archivée.

Il y a tellement de contenu numérique qui disparaît car remplacé par une nouvelle version… ou se perd définitivement car non archivé ou dépendant de technologies obsolètes.

Promis, je ne vous parle pas du Minitel… sauf si vous insistez, exemple: https://www.museeminitel.fr/2018/07/10-mai-1981-ou-lhistoire-dune-page-ecran-mythique/

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Je ne sais pas si je peux me placer dans les experts mais je me lance. Ce sujet m’agace depuis la parution de la note que cite @27point7 .Clairement pour moi il y a un syllogisme. Voyons donc l’articulation à partir du Code du Patrimoine

1 - “Les archives sont l’ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité.” L 211.1

2 - Sont des trésors nationaux :[…] 2° Les archives publiques, au sens de l’article L. 211-4, ainsi que les biens classés comme archives historiques en application du livre II ;" L111.1

Conclusion tous les document, les données sont des trésors nationaux. Effectivement cela est un peu raide, y compris dans le papier pour le coup. La reconnaissance des archives comme trésors nationaux (dans leur ensemble !) n’est en fait pas très ancienne. SI l’idée de protection était louable, le fait ne pas définir un socle mais d’englober toute la production d’archives publiques semblent peu raisonnable.

Le service interministériel des Archives de France a fait une explication de texte en juin 2016 sur son carnet hypothèse

Quitte à être maximaliste allons au bout du raisonnement, au-delà de l’interdiction d’une sortie du territoire d’autres clauses s’imposent. Car utiliser un cloud c’est externaliser les documents et données (donc vu plus haut les archives), et que ce choix est très contraint par le Droit français (agrément des prestataires de tiers-archivage pour la conservation d’archives publiques courantes et intermédiaires, déclaration préalable de tout recours à l’externalisation, examen des contrats de dépôt par les services publics d’archives).

Concrètement, il ne peut être externalisé que les archives courantes et intermédiaires et uniquement auprès de prestataires ayant un agrément. Le nombre de prestataires est assez limités pour le papier comme pour le numérique. Une liste et une carte existent.

Mais là le SIAF n’a donc pas pointé qu’en plus d’un cloud localisé France il faudrait un prestataire avec agrément “archives”, pourquoi ? Sans aucun doute car cela est totalement impossible !

Je rumine le sujet Cloud et archives depuis un petit moment et avait en tête d’écrire pendant mes vacances, il semble que ça soit urgent !

PS : l’Association des archivistes français, qui participe au programme Dcant, a d’ailleurs communiqué aujourd’hui même sur le sujet

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merci @J.Benedetti. J’avais déjà eu quelques échos sur cette affaire, c’est bien d’avoir l’ensemble des éléments par écrit. La règle semble en effet inapplicable concrètement et donc problématique…

Un complément d’information sur le cloud “souverain” avec une consultation qui m’avait échappé.

Le projet de lettre de cadrage me semble un peu plus censé (que la note SIAF/DGCL), affirmant plus une réelle souveraineté c’est à dire une indépendance et une maîtrise sur les données.

D’ailleurs aucune mention d’une limitation au territoire, mais à noter que le premier commentaire rend un bel hommage à la note du SIAF :

“Il faudrait commencer par annuler explicitement l’abominable circulaire commise par les archives de France et la DGCL en 2016, qui expliquait doctement que mettre une copie numérique d’un document administratif sur un cloud non souverain revenait à exporter illégalement un trésor national hors du territoire… Quelle imbécilité ! La note n’est plus disponible en ligne, mais elle a fait beaucoup de mal et n’a jamais officiellement été rétractée !”

Quelques remarques complémentaires :

A lire, le rapport Nougaret de 2017 : Une stratégie nationale pour la collecte et l’accès aux archives publiques à l’ère numérique


qui propose une évolution.

L’inscription récente des données dans le code du patrimoine n’est pas un vecteur suffisant à ce jour pour prendre en compte l’administration numérique dans la constitution du patrimoine de demain. En outre l’assimilation des données aux trésors nationaux, au titre des arch iv es publiques 4 , suscite l’incompréhension des producteurs d’archives , bien éloignés du champ patrimonial et de ses enjeux de long terme. Il convient donc de clarifier le terme de données, afin d’assurer l’archivage définitif des données numériques ess entielles ( 1), et de préconiser le cloud souverain pour les seules données numé riques essentielles (2).

Voir la proposition 1 : Proposition n°1: clarifier le terme “données” dans le code du patrimoine afin d’assurer l’archivage définitif des données numériques essentielles
L’idée serait de restreindre la notion de trésor national à des données “essentielles”, à archiver dans un cloud souverain, mais donc d’alléger les contraintes pesant sur les autres données : "permettre d’identifier les données numériques essentielles et leurs métadonnées,dont la conservation présente un intérêt public majeur justifiant un archivage définitif et la qualification de trésor national, laquelle gagnerait à être restreinte pour plus d’efficacité. "

Sinon, pour essayer de comprendre le contexte de la loi de 2015, j’ai passé un petit moment à éplucher les documents préparatoires et les débats à l’AN et au Sénat.
Ce qu’il en ressort, à mon sens (mais je ne suis pas juriste…) :

  • l’extension aux archives dans leur ensemble est voulue et assumée, y compris par ex. “le procès-verbal du conseil municipal du 1er décembre 2014 de la mairie de Romorantin délibérant sur la voirie municipale” (exemple donné par qq qui s’opposait à cette extension, cité dans le rapport de la commission de la culture du Sénat http://www.senat.fr/rap/l14-172/l14-1724.html ), au motif que toute archive publique est potentiellement porteuse d’une valeur historique, et qu’opérer un tri préalable serait difficilement faisable
  • mais les conséquences pratiques pour les services gérant des archives courantes ou intermédiaires ne sont pas vraiment détaillées. Les débats et rapports ne distinguent d’ailleurs pas archives courantes, intermédiaires ou définitives
  • les documents et données numériques ne sont absolument pas mentionnées dans ces débats
  • tout cela est pensé pour protéger des “biens culturels”, par définition uniques, et que la France risque de “perdre” définitivement s’ils quittent le territoire national. Donc est-ce directement applicable dans un contexte numérique?
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Si @27point7 me pique par avance les références :slight_smile:
Je signale ici un dossier dans la revue interne de l’Association des Archivistes Français sur ce sujet

Le Conseil d’Etat a publié le 4 octobre un avis sur un projet de loi visant à la suppression de surtranspositions des directives européennes.

Les archives publiques et leur statuts de Trésor national sont notamment dans le spectre.

Comme vous pourrez le lire ci-dessous il semble que la fin de la limitation de conservation sur le territoire national pour les données publiques soit proche.

Si l’argument “trésor national” n’était pas le bon pour autant j’espère que le législateur saura rappeler le besoin de sécurité, de protection, et de souveraineté sur les données. Je pense notamment aux difficultés techniques que rencontre les collectivités pour extraire leurs données des applications en SaaS.

" Archives publiques constituant des trésors nationaux

39. Le projet de loi restreint aux seules archives publiques issues de la sélection prévue aux articles L. 212-2 à L. 212-4 du code du patrimoine en vue d’une conservation définitive, la qualification de trésors nationaux.

40. Alors que la directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 n’imposait pas aux États membres de revoir la définition de leurs trésors nationaux - envisagés comme ceux ayant une « valeur artistique, historique ou archéologique conformément à la législation ou aux procédures administratives nationales au sens de l’article 36 TFUE », la loi de transposition n° 2015-195 du 20 février 2015 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel a modifié l’article L. 111-1 du code du patrimoine pour inclure dans les catégories de biens qualifiés de trésors nationaux l’ensemble des archives publiques, au sens de l’article L. 211‑4 du code du patrimoine.

Ont été ainsi légalement qualifiés de trésors nationaux l’ensemble des archives procédant de l’activité de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, de la gestion d’un service public ou de l’exercice d’une mission de service public par des personnes de droit privé, ainsi que les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels et les registres des conventions notariées de pacte civil de solidarité.

41. En rétablissant un périmètre raisonnable des archives publiques entrant dans le régime des trésors nationaux, le projet de loi corrige utilement une interprétation inappropriée de la directive sur laquelle le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi de transposition (Assemblée générale, n° 389.282, 16 octobre 2014), avait attiré l’attention du Gouvernement en soulignant qu’elle risquait, notamment au regard de l’article 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’affaiblir la sécurité juridique des actions en restitution engagées par la France.

42. La disposition envisagée met fin à l’application irréaliste du régime de contrôle de la circulation des trésors nationaux à un ensemble infini de documents susceptibles, par nature, de circuler hors des frontières internes et externes de l’Union. Cette suppression ne fait pas pour autant obstacle à ce qu’une archive publique courante, si elle présente un intérêt majeur pour le patrimoine national, puisse, en application du 5° de l’article L. 111-1 du code du patrimoine, être protégée à tout moment comme trésor national. Le projet ne peut, pour l’ensemble de ces raisons, que recueillir l’assentiment du Conseil d’État."

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Je vous propose quelques modestes lignes sur le sujet Cloud et archives : la genèse d’un malaise

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merci pour cette clarification @J.Benedetti !

Bonjour,
Je prends connaissance de cette discussion déjà ancienne mais dont le contenu me semble plus que jamais d’actualité : y a-t-il eu du nouveau sur la possibilité (ou pas) d’héberger des archives en dehors du territoire national ?

En fait, l’interdiction n’a jamais été édicté que par une note (caduc depuis mais que l’on trouve encore sur France Archives. La Loi ASAP a clarifié la situation, seule les archives définitives sont désormais concernées. C’est-à-dire les archives ayant fait l’objet des opérations de tri et sélection comme indiqué dans le Code du Patrimoine.

Quelques éléments sur la page wikipedia et la section « critères ».

Comme je l’avais écrit à l’époque de cette note, si l’argument « trésor national » n’est pas tenable juridique, cela n’empêche pas d’avoir une vigilance sur les pays dans lesquels nous hébergeons des données publiques, surtout s’il y a des données personnelles. Et là, il y a plus une analyse à faire en lien avec les arrêts Schrems de la CJUE.